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Colloque « La laïcité dans l’espace francophone : une problématique à part ? »

21 février 2020
 
La   laïcité,   «singularité»   ou   «exception   française»,   concept   unique   car   intraduisible (Raynaud), contestée dès son origine au niveau du principe et de l’institutionnalisation, était pourtant  considérée,  depuis  longtemps,  objet  de  consensus  et  valeur  acquise  au  sein  de  la société française sinon de la francosphère, jusqu’à ce qu’elle y fûtconfrontée  à  un  défi  de taille:l’émergence de l’Islam en tant que force spirituelle, référence identitaire, idéologie universelle,  facteur  politique  et  par  la  suite,  sécuritaire.  Depuis,  sont  ouverts  au  débat  la définition de la laïcité, son contenu, son parcours, sa pertinence et ses diverses interprétations, aussi bien que les solutions dont elle pourrait être porteuse face à cette problématique à enjeux multiples et qui s’universalise à toute allure.

Selon  ses  définitions  encyclopédiques,  la  laïcité  est « un  système  qui  exclut  les  Églises  de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif et en particulier de l’organisation de l’enseignement » ou  encore une  « conception politique impliquant la séparation de la société civile et de la société religieuse, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir  politique ». C’est aussi une idéologie, porteuse de mobilisation sociale caractérisée parun  soutien  aux  valeurs  de  la  République  et  une  lutte  contre  tous  les  obscurantismes religieux,  notamment  dans  le  système  scolaire  (Bréchon).  Donc  la  laïcité  est,  par  définition, une   valeur   universaliste   et   humaniste,   positive   et   inclusive   (affirmation   deslibertés individuelles  et  publiques)  avant  d'être  négative  (séparation  des Églises  et  de  l'État)  ou exclusive (libre-pensée) (Burdy et Marcou).

Introduite  par  la  Révolution française,  raffermie  sous  la  IIIème République,  cristallisée  par  la loi de 1905 qui confirme la liberté de conscience et le principe de la séparation des Églises et de l’État, elle n’est pas pour autant que militante ou jacobine dans son aspect idéologique, vu une   perméabilité   historique   conduisantà   une   «normalisation   libérale»(Bouvet)   qui constitue, selon les laïcs fervents, une longue série de concessions politiques à l’Église, sinon à la religion à commencer par le Concordat de 1801, continuant avec la loi Debré de 1959 et aboutissant à plusieurs autres ajustements d’ordre juridique  plus  récents  (Fourest).  Dans  sa spécificité  philosophico-juridique,  son  alternative  directe  est  la  philosophie  libérale  de  la tolérance  (Laborde) représentée par la pensée anglo-saxonne. En effet, tandis que la laïcité à la  française  est  un  processus  public  lié  à  la  citoyenneté,  le  régime  de  tolérance  est  lié  à l’individu. La première conception considère comme source de cette liberté, l’État, tandis que la  seconde,  la  société  civile.  L’ascension  progressive  du  libéralisme  et  l’apparition  des sociétés multiculturelles dominées par l’identitaire, produits de la mondialisation, ont conduit à  la  critique  libérale  de  tout  concept  politique.  « La  laïcité  selon  la  loi  1905 » fait  partie  des cibles  de  ces  critiques.  Elle  est,  en  effet,  critiquée  aussi  bien  par les théoriciens d’outre-Atlantique que certains en France-même, prônant une laïcité plus ouverte et libérale que celle, prédominante, qui reposerait sur une perspective trop rigide et stato-centrée (Baubérot).

Le débat a été ravivé dans les années récentes d’abord autour de l’immigration. Par ce biais, pointe à l’horizon une nouvelle dynamique qui s’imposera progressivement: l’Islam, culte jusqu’alors non reconnu par la loi. Une nouvelle grille conceptuelle viendra donc se poser sur celle,  existante,  du  débat  laïcen France et dans l’espace francophone musulman autrefois colonisé  mais  laissé  en  dehors  des  législations  concernant  la  laïcité.  Le  deuxième  enjeu  de l’irruption de l’Islam dans l’horizon politique français après l’immigration, sera l’identité. Et,comme le souligne Bouvet,  «l’entrée de l’Islam de plain-pied dans l’âge identitaire»se fera autour du port du voile par les femmes. L’affirmation de l’Islam identitaire, en raison de ce caractère  immédiat  de  visibilité  se  trouve  renforcée  par  le  multiculturalisme  normatif,  lui-même produit de la mondialisation, et qui octroie à l’individu le libre choix de son identité personnelle. Ce choix se transformant le plus souvent dans la société libérale en revendication de droits (Kymlicka). L’affaire du voilequi va éclater en France en 1989, en est l’exemple. Cette politisation va s’accentuer autour du troisième enjeu de la problématique de l’Islam, à savoir l’apparition duterrorisme  «islamiste»ou  intégriste  au  seuil  du  XXIème siècle.  Cette transformationradicale de la contestation identitaire va changer la donne et l’Islam deviendra une   question   sécuritaire. Cette  multiplicité  d’enjeux  caractérisant  l’Islam  politique d’aujourd’hui a un impact direct sur la laïcité en tant que concept philosophique, sociétal et juridique. Une solution proposée à ce défi de taille est d’organiser «l’Islam de France» et qui pourrait  «exprimer  une  doctrine  musulmane  compatible  avec  les  valeurs  républicaines»(El Karoui), c’est-à-dire dans le contexte plutôt qu’en dehors et/ou contre la laïcité à la française. La voie sera également ainsi ouverte à l’étude des différentes laïcités existant dans l’espace francophone. Au demeurant, l’Organisationinternationale  de  la  Francophonie  (O.I.F.)  qui regroupe  les  pays  membres  de  l’espace  francophone  autour  d’un  ensemble  de  valeurs (démocratie, État de droit...) et qui défend avec vigueur la diversité culturelle sous toutes ses formes reste étrangement muette à propos de la laïcité. Pourtant, la laïcité apparaît à beaucoup comme le moyen d’aménager et de favoriser l’inclusion de la diversité selon des variantes multiples.  La  Francophonie  est  aujourd’hui confrontée au défi de proposer un principe de laïcité approprié aux exigences et aux effets délétères de la mondialisation. En effet, si l’aire francophone  possède  une  expérience  tragique  et  ancienne  des  conflits  liés  notamment  aux liens  trop  étroits  entre  religion  et  politique,elle  dispose  certainement  aujourd’hui  des références  culturelles  et  politiques  suffisantes  pour  inventer  une  laïcité  de  cohabitation  qui pourrait d’ailleurs être utile dans d’autres aires culturelles du monde.


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